“The Normal Heart” : un poignant oratorio
En 1981, une vague silencieuse commence à faire des centaines de victimes à New York, dans la communauté homosexuelle. Le temps de réaction des scientifiques et des politiques est beaucoup trop long selon l’écrivain et scénariste Larry Kramer, qui décide d’écrire cette pièce en 1984, avant de fonder l’association militante Act Up en 1987. Virginie de Clausade nous en propose pour la première fois une version française rondement menée avec une brochette d’acteurs sur-vitaminés, pour crier à la vie.
Un entre-deux entre vie et mort
Le décor est nu, mais coloré. Nous sommes dans la salle d’attente d’un hôpital new-yorkais, avec Ned Weeks, que campe Dimitri Storoge, avec un ami malade. Premiers signes de fatigue, premières lésions qui vont vite être examinées par le Docteur Emma Brookner, incarnée par Déborah Grall et dont le diagnostic tombe comme un couperet. A l’époque, le SIDA n’était pas encore nommé et on l’appelait “sarcome de Karposi” ce cancer qui s’attaquait de manière morbide aux homosexuels après leurs échanges sexuels. Dans la pièce poignante de Larry Kramer, l’auteur est représenté par son double Ned, un intellectuel homosexuel, révolté par la passivité, l’inaction et le manque de courage de ses amis. Il ira même jusqu’à fonder The Gay Men’s Health Crisis pour mobiliser les foules et les politiques, sans succès puisque qu’on va rapidement lui reprocher ses menaces et ses provocations de Cassandre affolant les troupes et perturbant l’épicurisme de ceux qui se mentaient à eux-mêmes.
Un châtiment divin
Il faut se rappeler de cette époque américaine, dominée par la présidence cinématographique républicaine de Ronald Reagan, et corsetée par la morale chrétienne qui considérait le SIDA comme une plaie fatale qui s’abattait sur un peuple de déviants. Le châtiment divin finit par égrener ses milliers de victimes, avant que l’État américain, politiques et scientifiques, ne se penchent vraiment sur cette question de santé publique. Les Français avançaient lentement sur un traitement, mais New York ne bougeait pas. Les homos pleuraient, se morfondaient, tombaient comme des mouches. “Le silence, c’est la mort !” hurlait Larry Kramer à l’époque, dont l’énergie et la rage secouaient administrations et journaux. Jules Pelissier (Félix), Brice Michelini (Tommy), Andy Gillet (Bruce), Joss Berlioux (Hicham) et Michaël Abitboul (Ben Weeks) complètent cette superbe distribution qui restitue ces combats dans leur actualité brûlante. Merci à Virginie de Clausade, adaptatrice et metteur en scène du projet, de faire vivre cette œuvre nécessaire et de rendre à l’auteur la pugnacité de son intelligence visionnaire.
Hélène Kuttner
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...